Problématique

La question de la représentation des minorités préoccupe les pouvoirs publics depuis les années 1990. Elle se concrétise par l’instauration de différents garde-fous durant la décennie suivante : en 2005 est alloué un fonds de soutien au développement de projets cinématographiques « promouvant la diversité de notre société française », supervisé à partir de 2007 par une commission « images de la diversité » codirigée par le CNC et l’Agence pour l’égalité des chances. Quant au CSA, après avoir inséré un volet « représentation des    minorités » dans son bilan annuel de 2000, il se voit doter en 2008 d’un « Observatoire de la diversité », réunissant surtout des professionnels des médias, afin « de suivre les actions mises en œuvre par les chaînes de télévision et de radio en faveur de la promotion de la diversité dans la société française et pour lutter contre les discriminations ». Dans le même temps, plusieurs rapports institutionnels participant de cette politique se succèdent : ceux, pionniers, de Marie-France Malonga (2000) et d’Éric Macé (2008), posent deux types de problématiques, la première théorique, la seconde méthodologique.

Premièrement, la « diversité » s’entend dans ces différents rapports dans une acception large, couvrant progressivement plusieurs critères : catégorie socio-professionnelle, genre et enfin « marqueur ethnoracial ». Pour cette dernière catégorie, le problème de conceptualisation s’avère une gageure : le terme de « personnes non-blanches » est ainsi mobilisé en 2000 et se retrouve dans le rapport-bilan du CSA 2013-2018 pour étudier les représentations. Cette catégorie couvrirait plusieurs populations, sous les termes de « noirs », « arabes », « asiatiques », et « autres ». Ce vocable en côtoie d’autres au sein des discours officiels : ceux de « diversité », « minorités visibles » ou « invisibles ». Soient autant de formulations parfois euphémistiques, souvent reprises par la presse pour désigner une réalité sociale en tension politique et philosophique avec une vision universaliste de la république française (Fassin, 2006). Deuxièmement, ces rapports révèlent des tâtonnements méthodologiques, relevés par Maxime Cervulle dès 2013. Le sociologue souligne la nécessité de suppléer aux études quantitatives, privilégiées par le CSA, une approche qualitative. Si l’autorité de régulation propose depuis des études de cas, parfois très instructives, elles témoignent cependant d’une nécessité de proposer de nouveaux outils susceptibles d’étudier la place et les représentations des minorités ethnoraciales dans les médias.

Vingt ans après la publication du premier rapport, un nouveau défi semble naître de la convergence numérique (Paris, 2006) : depuis quelques années, le régulateur se voit confronté à des firmes médiatiques issues du web, guidées par des logiques d’audiences et de discours distincts des grands médias nationaux. En effet, la montée en puissance d’offres de vidéos à la demande légales ou illégales, ciblant une audience particulière et s’adressant à des diasporas (du type Afrostream), accompagne celle de chaînes YouTube amateurs à destination d’une communauté donnée (Sobande, 2017). Ces pourvoyeurs de contenus, souvent d’influence anglo-saxonne mais accessibles au citoyen français, échappent aux chartes et autres baromètres mis en place par les autorités nationales. Parallèlement, l’offre du service public hexagonal connaît un revers : la suppression de la chaîne France Ô en 2020, en raison d’audiences insuffisantes. Celle-ci jouait pourtant un rôle essentiel dans la mise en visibilité de figures médiatiques noires à la télévision française.

Selon nous, une telle disparité entre le linéaire et le délinaire peut initier deux grands questionnements : un premier d’ordre socio-économique. Une économie de la demande semble en effet prendre le relais, voire pallier les carences de l’offre très régulée des grands médias historiques. Dès lors, une logique commerciale et libérale, débarrassée de certaines contingences historiques, symboliques, politiques et éditoriales des grands médias nationaux, participerait-elle à une meilleure représentation de la diversité ethnoraciale française ?

Un second questionnement d’ordre sociotechnique est possible : l’étude de cette offre issue du web peut amener à s’inscrire dans la lignée des réflexions de Richard Dyer (1997). Ce théoricien anglais du cinéma relève le rôle joué par la technologie dans la mise en avant de visages blancs par les médias : les techniques d’éclairage dans la photographie et le cinéma auraient conduit à « exclure les personnes non-blanches ». Qu’en est-il donc des nouvelles techniques d’information et de communication ? YouTube, Facebook et Instagram permettraient-ils de s’affranchir de telles prédispositions techniques à la discrimination, par exemple par le recours aux filtres ?

 
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